"Ce qui nous intéresse, c'est ce qui dans le monde extérieur nous parle de peinture" : cette déclaration du couple d'artistes fait le lien entre les différents projets qu'Anne-Marie Jugnet et Alain Clairet produisent ensemble depuis 1997. Qu'elles soient de nature photographique, textuelle, picturale, les œuvres de Jugnet et Clairet se consacrent essentiellement à un précieux duo, voir et comprendre.

L'objet de leurs investigations est souvent le territoire, le déplacement, avec pour souci permanent l'expérience et les conditions de la perception. Il s'agit plutôt de se tourner vers des lieux et des images où "l'information est rare" : peut-être pour rendre plus évidente la structure même de cette information, la nature des images, les codes qui les régissent et les éléments qui s'y jouent.

La question de l'abstraction est néanmoins étrangère à ce travail. Si des éléments communs aux abstraits apparaissent, ils sont prélevés dans le réel avec de surcroît, une prédilection évidente pour la littéralité : ainsi, les grilles des peintures proviennent de plans de périphéries de ville, et la rareté des éléments à figurer sur ces plans en laisse évidente la géométrie préalable, condition d'émergence de l'image.

Ce sont les paysages américains qui sont prétexte au projet que Jugnet et Clairet ont développé pour la Synagogue de Delme : rejouant une série de peintures exécutées en 2000, les "Séries Américaines", ils la complètent par une nouvelle série de peintures circulaires spécialement produites pour l'exposition (Mohave Valley, CA), et une pièce en néon, "Sunset".

Ce dispositif propose une réactualisation des liens anciens qui existent entre peinture et paysage : si la peinture est une machine à voir, alors elle se décline ici par structures, fragments, prélèvements, comme autant d'éléments qui demandent à être liés par une infinité de combinaisons possibles. Plutôt que mettre en exergue le paysage ici figuré, ces œuvres rappellent sans cesse au spectateur comment sa perception opère : quels sont les illusionnismes qui président à sa compréhension, ou les réalités physiques qui rompent avec cette figuration. Du point de vue au rapport d'échelle, de la ligne d'horizon aux données de lumière, des grilles qui parcellisent le territoire aux indications écrites, ici tout est question de paysage, et tout est question de peinture, sans que l'on puisse déterminer lequel agit comme préalable à l'autre.