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Julien Creuzet

Du Lundi 21 Septembre au Mardi 1 Mars 2016


Pour son projet de résidence à Lindre-Basse, Julien Creuzet avait proposé un malicieux système d’inversion des regards entre l’Europe et ce que les explorateurs colons des siècles passés ont appelé à tort le « Nouveau Monde ». Il s’agissait ainsi de faire du Parc Naturel Régional de Lorraine et du territoire autour de Lindre-Basse, un Nouveau Monde à explorer, « monde inconnu et exotique » pour l’artiste, originaire de Martinique, ayant par la suite étudié aux beaux arts de Caen, de Lyon ou encore au Fresnoy - Studio National des Arts Contemporains de Tourcoing. Résidant aujourd’hui à Paris, il reconnaît aisément toute la distance qui peut le séparer de ce territoire rural au cœur de la Lorraine, constitué de zones humides et de multiples forêts, bordé d’un immense étang où l’on préserve et étudie la faune et la flore locale, et qui abrite également une colonie de cigognes blanches.

Comme chaque projet écrit in abstracto, celui-ci s’est enrichi au fil du temps, des rencontres, des découvertes sur place, ou encore des soubresauts du monde. La première vidéo réalisée s’intitule L’île aux oiseaux (les migrants de septembre) où l’on devine l’artiste faiblement éclairé à la lumière de son écran, sur fond de musique et de chant composés par ses soins. Il y est question des cigognes qui nichent dans le village de Lindre-Basse et de leur vol migratoire, comme un écho brûlant de l’actualité.

les temps ont changé
les temps du danger
j'ai fait peur au migrant
du mois de septembre 
oiseaux massés, Calais
comme ils pouvaient
ils se sont envolé

La cigogne blanche devient une figure totem, un fil rouge de la mythologie créée à partir de ce village lorrain de 300 âmes à peine. Dans une des vidéos, produite pour l’occasion, intitulée Ciconia – Anima, une cérémonie nocturne est activée par la danseuse Ana Pi, qui vient incarner cet animal longiligne, quand le musicien Thibaut Gueriaux réinterprète le chant percussif de l’oiseau, avec ses claquements de bec répétés. Cette rythmique rappelle à Julien Creuzet « les musiques rituelles et des danses traditionnelles du candomblé afro-brésilien », religion syncrétique au croisement du catholicisme, des rites indigènes et des croyances africaines, héritage des déplacements de populations africaines dans le cadre de la Traite des esclaves du XVIème au XIXème siècle.

Comme souvent dans le travail de Julien Creuzet, les corps sont tout autant traversés par la nature environnante (la forêt, un étang, le chant des oiseaux) que par un ensemble de machines et de technologies numériques (effets spéciaux à outrance, écrans omniprésents, références à la culture des réseaux sociaux…). Dans cette culture web saturée de communication, Julien Creuzet s’emploie à opacifier la pseudo transparence induite par la mise en scène permanente de soi. La nuit est souvent épaisse, à peine trouée par la lumière blafarde des écrans qui hantent ses vidéos. Se jouant des codes et des usages de la sociabilité immatérielle, le statut et le profil se transforment chez lui en « statue de profil ».

Dans une logique résolument inclusive, Julien Creuzet fait appel à de multiples acteurs, participants, co-auteurs issus de champs artistiques et disciplinaires autres, impliquant une diversité de voix et de manières de faire. Si les termes « archipéliques » et « créolisation » reviennent comme des mantras dans son vocabulaire ou dans les articles écrits sur lui, c’est qu’il s’agit bien d’une manière de faire et d’être au monde, fragmentaire et traversée par une multiplicité d’identités.

Il n'y pas de demi-saison, 

pour cette plume
qui chute, multiple,

dans son corps-sécession.

Admirable,
arbre,

Érable, au début de l'automne...

Ce corps-sécession dont il est question dit sans doute de cette identité complexe, en morceaux, impossible à assigner à un espace unique, à circonscrire à une culture donnée.

Pour le projet qu’il réalise à la galerie NaMIMa, Julien Creuzet déploie une installation hybride et précaire : écrans de télé, objets trouvés, donnés, aliments à l’exotisme tout relatif… posés simplement sur le sol, dessinant une cartographie mouvante dans laquelle l’œil se perd, qui devient aussi un terrain d’action ; chaque élément est à performer, à manipuler, à chanter, à déplacer, par l’artiste ou par ses invités. Ce faisant, il réinjecte une forme de singularité autour d’objets, d’artefacts ou d’aliments culturellement standardisés et économiquement globalisés, tentant d’en retrouver les généalogies secrètes et les multiples transferts culturels, que le temps a si bien occulté.

S’il se saisit de tous les médiums avec une spontanéité déconcertante, c’est pour finir un certain rapport à la langue qu’il convient d’évoquer : une poésie explosive et libre, qui vient se loger dans tous les interstices du travail, des titres des œuvres (si longs qu’il est impossible de les retranscrire entièrement dans les espaces normés des supports de communication) jusqu’aux mails qu’il envoie à ses divers interlocuteurs, commissaires, journalistes, directeurs d’institutions, collaborateurs – amis… Tous nous voilà pris dans cette nasse poétique qui agit sur nous comme un remarquable liant.

Marie Cozette


Evénement associé - Exposition à la galerie NaMIMa de l'ENSA-NANCY

Julien Creuzet est le lauréat de l'appel à projet Namima 2016, porté par l'ENSA-Nancy (Ecole Nationale Supérieure d'Art et de Design de Nancy). Dans ce cadre il conçoit une exposition dans la galerie de l'école du 1er au 31 mars 2016, qui s'incrit dans le prolongement de sa résidence à Lindre-Basse de septembre 2015 à février 2016. 
Vernissage de l'exposition Cet ailleurs, qui rejaillit en moi, lorsque je suis là (…), le 1er mars à 18 h à Namima, galerie de l'école. 
 

Plus d’infos sur l’artiste 

www.galeriedohyanglee.com/julien-creuzet
www.juliencreuzet.com

 

 

Né en 1986. Vit et travaille à Paris. Diplômé de l’école des beaux arts de Caen, du post-diplôme des beaux arts de Lyon, du Studio national des arts contemporain - Le Fresnoy à Tourcoing. Il est représenté par la galerie Doyang Lee à Paris. Son travail a fait récemment l’objet d’une exposition personnelle au Frac Basse Normandie à Caen (2015), au centre d’art contemporain de Juvisy sur Orge, à la galerie Doyang Lee à Paris (2013), à la fondation Sandretto Re Rebaudengo à Turin (2012). Suite à sa résidence au centre d’art La Galerie à Noisy le Sec, il a participé à l’exposition collective intitulée Scroll infini, en 2015.

Ses projets en 2016 incluent : résidence Orange Rouge (Seine Saint Denis), Contre-Formes exposition collective au Centre Dramatique National de Caen, exposition personnelle à la Galerie Doyang Lee, seconde biennale de Kampala (Ouganda)…