A travers films, diagrammes, dessins ou textes, Zbyněk Baladrán propose divers systèmes de représentation du savoir et de la connaissance. S'il utilise ces formes pour traduire concepts et idées, c'est aussi une manière de les rendre plus directement accessibles à nos sens et de mêler des questions philosophiques à des modes de transmissions d'ordre poétique et visuel.

L'œuvre qui ouvre l'exposition consiste en une sculpture serpentine faite de papiers découpés, et se déploie dans l'espace à hauteur de regard. Zbyněk Baladrán fait de nous des lecteurs actifs, car il faut se déplacer, tordre le cou, avancer ou reculer, pour lire et percer le sens des mots imprimés sur les rubans. Comme un chemin de pensée que l'artiste voudrait rendre palpable, l'installation relève du diagramme mental, cartographie labyrinthique, faite de superpositions et de collages dans lesquels le discours est volontairement éclaté, fragmentaire et troué.

Nombres des œuvres de Zbyněk Baladrán (né à Prague en 1973) sont traversées par les doutes et les résistances intérieures expérimentées par une génération ayant traversé les bouleversements historiques, politiques et sociaux de l'après 89, dans les pays de l'ex bloc soviétique. Le sentiment d'inadéquation et de décalage provoqué par la liberté toute paradoxale, offerte par un monde dit démocratique, a fini par produire ce que l'artiste appelle des "spasmes mentaux ''. Plus que du désenchantement, c'est une forme de désarroi profond qui s'est installé dans le quotidien de cette génération, oscillant entre volonté d'adaptation à un nouvel environnement libéral et individualiste d'une part, et recherche d'un nouveau sens du commun d'autre part.

Dans ses films les plus récents, ces questions restent centrales. Avec une grande économie de moyens, un esprit do it yourself affirmé, Zbyněk Baladrán compile diverses images détournées du flux gris et apathique des médias. Il recompose ces sources hétéroclites en leur imposant le rythme de sa propre manipulation. Entre les images qui défilent et le texte en voix off, aucune corrélation ayant un caractère d'évidence. La méthode de travail revendiquée est celle du malentendu et de la contradiction permanente, dont le titre de l'exposition donne un indice.

En effet, Dead reckoning (Navigation à l'estime) est un terme technique qui désigne le calcul de la position d'un véhicule, basé sur la distance parcourue depuis son point de départ. Parallèlement aux données utilisées, comme la vitesse, la "navigation à l'estime" intègre des paramètres plus fluctuants comme le vent ou les courants marins. A l'image de cette science paradoxale, dont l'objectivité affichée intègre l'erreur et l'incertitude, les deux films et l'installation de Zbyněk Baladrán pour la synagogue de Delme relèvent de la même méthode de navigation.

Le film Dead Reckoning, produit pour l'exposition, et Le microscope et le télescope du temps, réalisé en 2013, déploient ainsi les recherches de l'artiste autour de l'identification des symptômes et des contradictions qui affectent le corps social dans son ensemble. La paranoïa, l'anxiété, l'hystérie ou la psychose seraient des traductions modernes et intériorisées chez l'individu, d'un traumatisme historique plus large, où s'entrechoqueraient tout à la fois, par exemple, lutte des classes, colonisation et impératif consumériste.

Marie Cozette