Non sans humour, l'artiste suisse Stéphane Dafflon propose de miser sur une "extra ball" donnée à la peinture. Son vocabulaire formel, dans la tradition de la peinture abstraite, emprunte consciemment aux champs variés du design, de la décoration ou du graphisme, imposant leur efficacité aux espaces qu'il investit.

Le 18 octobre s'ouvrira sa prochaine exposition personnelle à la Synagogue de Delme, lieu de culte devenu il y a près de dix ans un centre d'art contemporain et qui voit régulièrement son espace remodelé par les artistes invités. Silent Gliss mêlera volumes, peintures au sol et peintures murales, en instaurant une dynamique et un dialogue avec la succession de lignes orthogonales et d'arcades déjà présentes dans l'architecture de la Synagogue.

Les oeuvres que Stéphane Dafflon produit directement dans l'espace d'exposition élaborent des stratégies subtiles de brouillage des repères physiques et visuels : assumant pleinement leur dimension atmosphérique, elles instaurent des partitions qui viennent contrecarrer la perception habituelle de l'espace. Murs obliques, motifs réguliers se bousculant les uns aux autres sur des portes à moulures, ou semblant s'abîmer dans le sol de l'espace d'exposition, panneaux tournant sur l'axe de leurs socles, les oeuvres de Stéphane Dafflon se caractérisent par leur potentiel dynamique, aux diverses échelles de leurs supports, qu'ils soient une peinture sur toile, un espace entier, le mur d'un appartement ou celui de l'espace d'exposition.

L'esthétique qui se déploie à partir de ces formes toujours incurvées évoque tour à tour la pratique du skateboard, les plongeoirs de piscine ou les visions stéréotypées et maintenant désamorcées de ce que le futur aurait pu être : si le répertoire de couleurs et de formes rappelle aisément le design des années 50, c'est débarrassées de leur contenu idéologique que ces lignes réapparaissent dans les oeuvres de Stéphane Dafflon. Une "marque de fabrique" de l'artiste est l'hybridation de deux formes élémentaires, le cercle et le rectangle : le rectangle arrondi, penché, réapparaît régulièrement au fil des projets développés par l'artiste : appliqué à l'espace d'exposition en arrondissant tous les angles, motif répétés sur des toiles, lignes régulières de wall paintings.

Les propositions de Stéphane Dafflon sont largement héritières de la peinture abstraite et de l'art concret, mais tout effet pictural y est soigneusement évité : lisses, géométriques, les formes sont déterminées en amont par des moyens informatiques de dessin, et mises en oeuvre avec des procédés et des matériaux souvent industriels. Les titres des oeuvres renvoient prosaïquement à leur méthode de fabrication, à leur lieu de présentation ou au matériau employé: Silent Gliss - vocable aux consonances anglo saxonnes et néanmoins intraduisible - renvoie ainsi à un fabricant de stores à lamelles verticales mobiles, modèle dont Dafflon s'inspire ici pour son installation à la synagogue.

La proximité des arts appliqués ou l'évacuation de contenus allégoriques ne saurait néanmoins mener à la conclusion d'un art sans contenu, qui s'en tiendrait à n'être qu'une activité décorative : comme le note Vincent Pécoil, "Cette accusation de gratuité, d'arbitraire, est ce contre quoi l'abstraction s'est efforcée de lutter depuis son commencement, en recourant à des modèles extérieurs (la musique, l'icône, l'architecture); Stéphane Dafflon, quant à lui, prévient l'accusation décorative en poussant à ses conséquences extrêmes cet écueil supposé, en assurant, avec ses peintures murales (ou a fortiori avec ses projets comme Airless, galerie air de paris, 2000), l'habillage ou le packaging de l'espace d'exposition lui-même."