Faire l’expérience de l’art d’Antoine Granier, revient à accepter de pénétrer un freak show un peu désuet, semblant légèrement hors du temps et ne correspondant pas aux esthétiques du moment. Cela est certainement dû à son attrait pour l’univers du cirque et des fêtes foraines « fin de siècle », qui lui permettent de nous éloigner du monde contemporain ultra connecté, à la temporalité compressée par la technologie et en haute définition. Pourtant, que cela soit pour ses films, court-métrages, sculptures, performances ou installations, Antoine Granier s’imprègne de ces ambiances toujours fascinantes pour traiter avec sincérité les sujets contemporains l’affectant directement tels que l’incorporation de la technologie à travers la figure du cyborg, la pression du capitalisme sur les corps invisibilisés ou la porosité actuelle du concept de nature.
Antoine Granier se plait à s’inspirer du proto-cinéaste Georges Méliès et de techniques d’illusionnistes pour créer des ambiances dans lesquelles les effets spéciaux bricolés et grotesques apportent une certaine étrangeté surréalisante. Les machines apparaissant dans ses oeuvres, remémorent leur simplicité de fonctionnement originelle, notamment par ce qu’elles avaient de plus organiques, avec leurs boutons lumineux, leurs ampoules et la transparence de leur mécanisme. L’art d’Antoine Granier nous conduit dans un monde où machines et magie résultaient de la même volonté, celle de communiquer avec l’au-delà, de prédire l’avenir comme ces automates diseuses de bonne aventure dont l’artiste s’est inspiré pour créer ses boîtes-sculptures mécaniques et lumineuses, crachant des poèmes écrits par ses soins, sur simple activation du spectateur. Ses décors et ses boîtes évoquent en outre l’enfermement et la contrainte des corps dans les espaces normés par le techno-capital. Des représentations de villes dystopiques apparaissent ça et là, à l’image de celles fantasmées durant la modernité, faites de gratte-ciels dans lesquelles les dominants occupent le haut alors que les forces laborieuses se trouvent en bas, rendant l’édifice social fragile et tremblant au moindre grondement de sa base.
Chez Antoine Granier, nature et technologie ne sont pas antinomiques, il cultive l’hybridité dans ses machines-plantes à visage humain, tels des éco-cyborgs grotesques tentant de s’adapter à une catastrophe écologique imminente. La métamorphose comme solution aux multiples crises sclérosant actuellement l’imaginaire collectif, apparait alors comme un bien nécessaire pour l’artiste dont chaque oeuvre résiste à la rigidité et au verrouillage politique ambiant. En résidence à l’atelier de Lindre-Basse, là où le temps s’allonge et l’espace augmente, l’artiste s’imprègne du paysage et de ses nombreuses éoliennes pour imaginer des installations monumentales mi-fontaines mi-éoliennes de fortune, qu’il activera dans les collines du saulnois. Réalisées à partir de bois et d’objets trouvés sur le territoire, elles porteront la trace des corps ayant utilisés ces matériaux (draps, chaussures, vêtements, roues de bicyclette…), et formeront ainsi un portrait local hybridant, là encore, technologie, corps et ressources naturelles.
Le programme de résidence d’artistes est organisé en collaboration avec le Parc Naturel Régional de Lorraine et la commune de Lindre-Basse.